Fiche Actualité

Le business florissant du combat ultime

Date : 10/07/2009

Le business florissant du combat ultime

 Quotidien Le Temps mercredi17 juin 2009 - Par Mathieu Aeschmann

Jadis décrié pour sa violence sauvage, le free fight ou MMA a durci ses règles pour conquérir sa respectabilité et multiplier son audience. Analyse d’une ascension paradoxale

Le k.-o. devenant rare, il est fréquent que le vainqueur des combats ultimes soit désigné par les juges. (AFP)

«Tout le monde se fout du baseball ou de la NFL en Europe. Mais chaque être humain, peu importe son pays ou sa culture, aime le combat. C’est contenu dans son ADN.» Les biscotos en carte de visite, Dana White convoque Hobbes avec la vulgarité effrayante de ceux qui ne doutent de rien. En l’espace d’une décennie, cet ancien boxeur amateur a quitté l’anonymat des salles du Nevada pour régner sur l’Ultimate ­Fighting Championship (UFC), fédération hégémonique de la galaxie MMA (Mixed Martial Arts). Acheté 2 millions de dollars en 2001 grâce aux fonds de deux frères actifs dans les casinos, l’empire sportif UFC pèse aujourd’hui un milliard de dollars. Une ascension fulgurante qui coïncide – étrange paradoxe – avec la régulation draconienne d’une discipline dont les anciennes dérives violentes ont servi l’émergence et construit le mythe.

Les racines du combat libre se nourrissent d’une quête d’absolu et d’une irrésistible force transgressive. Quel est le profil du combattant ultime, au-delà des disciplines et des morphotypes? Derrière la question fondatrice du MMA apparaît son postulat libertaire: seul un nombre limité de règles peut offrir un espace d’affrontement aux contours originels. Et ainsi consacrer un Hercule incontesté. Postulat confirmé par un rapide coup d’œil aux ancêtres du MMA. De l’antique pancrace (ou Pankration), discipline gymnique la plus violente des anciens Jeux olympiques au vale tudo («tout est permis»), premier avatar moderne développé au Brésil dans les années 1920, la quête d’un retour aux origines de la confrontation physique passe forcément par une réglementation dérisoire.

Pas étonnant dès lors que l’arrivée du MMA aux Etats-Unis s’accompagne d’un décorum qui multiplie les références barbares. En novembre 1993, la première réunion de l’UFC dévoile ses charmes: deux combattants aux qualités antagonistes, souvent mal préparés, se retrouvent enfermés dans une cage octogonale au son de «deux hommes entrent, un seul sort». Ce jour-là, Teila Tuli, un sumotori de 200 kg, y laisse une dent. Assez pour lancer le mythe d’une discipline que les promoteurs ne se gênent pas de présenter comme «la plus controversée de la décennie». Fort de son histoire, le combat libre s’appuie cependant sur des certitudes techniques qui ont vite raison des oppositions caricaturales. Importé du Brésil par Rorion Gracie, descendant de la famille Gracie dont la lignée fait figure de mythe fondateur du MMA, un style s’impose: le ju-jitsu brésilien. Enchaînements pieds-poings, travail au sol, clé ou étranglement, ce florilège des techniques les plus efficaces des arts martiaux sonne le glas des combattants d’opérette. Encore interdit dans la majorité des Etats de l’Union, l’UFC célèbre en cachette ses premières stars. C’est le temps des Randy Couture, Ken Shamrock et Royce Gracie dont l’invincibilité est déboulonnée en 2000 par le Japonais Sakuraba après une heure et demie de combat!

De cet «âge d’or» au parfum de scandale ne subsiste aujourd’hui que le souvenir des DVD échangés sous le manteau. En huit ans, l’UFC version Dana White a d’abord limité la durée des combats pour amadouer les chaînes de télévision. Il a décliné des catégories de poids, développé un suivi médical et interdit la bagatelle d’une trentaine de techniques afin de calmer les oppositions politiques. Autant de garde-fous qui ont professionnalisé l’approche et amélioré le niveau d’ensemble des combattants. «Les champions actuels sont le prototype de l’athlète complet, précise Sacha Vetterli, instructeur MMA au club Yamabushi. Des différences culturelles subsistent, les Brésiliens travaillent volontiers au sol quand les Anglo-Saxons enchaînent pieds-poings. Mais le temps des têtes brûlées est passé. Tous sont des sportifs réfléchis et complets qui sont capables d’analyser les faiblesses de l’adversaire.»

Moins spectaculaire, le MMA est devenu exigeant pour l’œil néophyte qui doit apprivoiser les subtilités de la lutte et accepter la décision des juges, recours toujours plus fréquent tant le k.-o. devient rare. Loin de frustrer les aficionados de la première heure, cette nouvelle respectabilité de l’UFC est synonyme de raz-de-marée commercial. En 2008, la fédération a généré près de 300 millions de revenus en provenance du pay-per-view, soit 50 millions de plus que le meilleur score jamais réalisé par les directs de boxe. Assez pour faire du MMA le sport de combat hégémonique du XXIe siècle? «La discipline profite de sa visibilité médiatique, reconnaît Sacha Vetterli. Du coup, de nombreux jeunes souhaitent suivre des cours de MMA sans passer par un art martial traditionnel. Mais la pratique a les moyens de se pérenniser car sa synthèse des styles attire indéniablement.»

Dans le sillage d’Anderson Silva et Georges St. Pierre, icônes actuelles de l’UFC, le combat libre semble avoir gagné sa lutte contre l’indignation. Pendant que Dana White se frotte les mains, certaines voix s’élèvent même pour voir le pancrace regagner ses galons olympiques. Ultime retour aux sources, comme un pied de nez à ceux qui crient au phénomène de mode.


Partager cette page :